La Cacem et la transparence, un cadeau d'anniversaire au tribunal administratif

TL;DR

J’aime recevoir des emails de Telerecours, surtout quand cela concerne la CACEM, mon administration locale préférée (à égalité avec la CTM pour ne pas faire de jaloux). Alors quand j’en reçois un, le jour de mon anniversaire, je sais qu’il n’y a pas qu’un gâteau que j’aurais à découper.

On va reprendre le document présenté en défense et montrer que la position de la CACEM n’a aucun sens :

  • les documents sont communicables, l’administration le comprend donc ils sont fournis
  • la CACEM confirme son refus de communiquer les documents (au moins avant le passage devant le tribunal)
  • ma demande est mal comprise
  • pinaillage sur des détails (mais qui sont néanmoins des erreurs de ma part)

https://www.youtube.com/watch?v=1Duiup2tWKA

Contexte

C’est ma troisième affaire devant le tribunal administratif de la Martinique contre la Cacem sur une problématique liée à la transmission de documents administratifs.

Lors des deux premières affaires, regroupées en une seule, si le tribunal avait demandé à ce que la CACEM communique les documents, celle-ci avait joué la montre, et j’avais dû à nouveau saisir le tribunal pour faire exécuter le jugement. La procédure avait alors durée deux ans et s’était soldée, en gros, par “on n’a pas fait les réunions comme on devait le faire, donc on n’a rien à vous montrer”. Cette partie est notamment décrite avec un peu plus de détails dans cet article : L’eau en Martinique, des discours humides au désert d’actions.

L’une des conclusions opérationnelles que j’en avais tiré est qu’il est essentiel de demander une astreinte journalière pour motiver l’administration à communiquer rapidement les documents demandés (sous réserve d’une décision favorable du tribunal) et ce dès la première requête.

Analyse sur la forme

Ma demande

J’ai demandé à toutes les EPCIs :

  • le courrier envoyé au préfet
  • du procès-verbal des séances (bureau ou conseil communautaire) ou communications relatives à ce sujet

Après l’avis positif de la CADA, seule la CACEM persistait à garder le silence, me forçant ainsi à déposer une requête devant le tribunal administratif.

Temporalité

  • 3 décembre 2023 : demande à la CACEM
  • 3 février 2024 : saisie CADA
  • 21 février 2023 : avis positif de la CADA
  • 22 mars 2024 : saisi du tribunal administratif
  • 04 juin 2024 : mémoire en défense de la CACEM

La réponse de la CACEM

La CACEM veut démontrer que ma requête tendant à faire annuler la décision de refus implicite de communiquer est dénuée de tout fondement tant en droit qu’en fait.

A) Sur le non lieu à statuer

En l’espèce, il ressort du dossier que la CACEM justifie avoir adressé à M. LEFAIT, posterieurement à la requête, la copie des documents administratifs dont ce dernier a sollicité la communication

En conséquence, la demande de M. LEFAIT étant satisfaite […] il n’y a pas lieux à statuer sur cette requête

Pratique. Comme la CACEM me fournit les documents demandés au moment du dépot de son mémoire en défense, la requête n’a plus lieu d’être.

B) sur le caractère infondé de la requête

1) formulation de la demande

demande […] manque de précision et de clarté.

Ma demande n’est pas assez précise mais la CACEM est capable d’y répondre maintenant qu’elle est devant le tribunal administratif. Magique.

Le premier point est la présence d’une coquille (analysée plus bas). Malgré cette coquille, la CACEM est capable d’identifier correctement la lettre envoyée au préfet.

Le deuxième point n’est pas très intéressant puisque la CACEM sur interprète ma demande et fini par me donner des documents que je ne demandais pas. En effet, ma demande se bornait à l’analyse des discussions et décisions ayant mené au courrier du 1er septembre, donc évidemment en amont de cette date.

cacem inception

Si aucune réunion n’a eu lieu à la CACEM concernant ce sujet, alors prenons-en acte. On peut alors se demander quel rôle joue la CACEM si ni le bureau ni le conseil communautaire ne sont consultés sur un tel enjeu.

De plus, dans la lettre (très courte) envoyée le 1er septembre, il est fait référence à une lettre exactement sur le même sujet envoyée le 11 août. Plutôt que de chercher à me fournir des documents inexistants, la CACEM aurait pu d’elle-même me fournir les documents liés.

C’était d’ailleurs l’objet de ma demande (cf : “ou communications relatives à ce sujet”)

2) sur la demande d’annulation de la décision implicite en date du 21 février 2024

Manifestement, le réquérant se trompe dans sa demande d’annulation car dans les faits, le 21 février, […] la CACEM n’a pris aucune décision […] En l’espèce […] la décision de refus de communication du document a été confirmée par le silence gardée […] soit le 5 avril 2024

Dont acte (analyse plus bas sur les dates).

La CACEM communiquant d’elle-même (une partie) des documents demandés, on peut considérer qu’elle a elle-même annulé sa propre décision implicite de refus de communiquer.

3) Sur la demande tendant à obliger l’administration à communiquer et publier en ligne les documents demandés

En résumé, la CACEM indique publier en ligne les délibérations mais que les procès-verbaux sont uniquement communicables à toute personne intéressée, tant par l’article L.5211-46 du CGCT et du règlement des instances communautaires de la CACEM (version du 23 août 2023).

A mon sens, il y a ici une erreur d’interprétation, puisque cette analyse ne prend pas en compte les modifications du CGCT au 1er juillet 2022 (voir plus bas).

En conclusion

En conclusion, au regard de l’ensemble des moyens qui viennent d’être développés, il est incontestable que la demande du requérant a été pleinement satisfaite par la CACEM, ce qui justifie son rejet par le TA.

N’est-ce pas bizarre de donner satisfaction à une requête si elle est “dénuée de tout fondement tant en droit qu’en fait” ?

Analyse de la réponse

Deux points sont particulièrement intéressants dans la réponse de la CACEM. Même s’il s’agit toujours de la forme, cela met en évidence la relation réelle et concrète que l’administration entretient vis-à-vis de la transparence et avec les administrés/usagers.

Un logiciel plus à jour ?

Mettons de côté le fait que je doive introduire une requête devant le tribunal administratif pour obtenir des documents dont tout le monde sait (y compris la CACEM) qu’ils sont communicables et reprenons les arguments de la CACEM. La CACEM dit respecter l’article L.5211-46, notamment dans son règlement, qu’elle a la générosité de fournir à la fois en PDF et en via une capture d’écran. easy ? Contact assemblee@cacem-mq.com

Pour cela rien de plus simple, il faut juste envoyer un email à une adresse improbable référencée nulle part en dehors d’un règlement lui-même non trouvable en ligne. Bien sûr, peut-être ai-je mal cherché. Bien sûr, peut-être que google ou duckduckgo et tout les autres sont mauvais. Tout est possible.

Accès facile au document, il suffit de trouver le bon email

Or s’il est possible que tout soit possible, il est aussi parfaitement certain que le 1er juillet 2022, la possibilité de demander communication d’un procès-verbal, a été complété par une nouvelle disposition qui indique que la publication de ces procès-verbaux est obligatoire.

En effet, et c’est même rappelé dans le règlement fourni en page 2 :

L’article L. 5211-1 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) mentionne que les dispositions relatives au fonctionnement du Conseil Municipal (chapitre 1er du titre II du livre 1er, de la 2ème partie) sont applicables

Or l’article L2121-15 a été modifié le 1er juillet 2022.

Comparaison L2121-15 avant/après 1er juillet 2022 Dans l’image ci-dessus, la version avant le 1er juillet est en haut, celle après (donc actuellement en cours) est en bas.

On voit bien que les procès-verbaux doivent être publiés. Donc être accessibles en ligne sans avoir à :

  • identifier une adresse email dans un document non public (ou tout au moins compliqué à trouver)
  • ou à déposer une requête devant le tribunal administratif

En conséquence, le requérant n’a pas besoin de forcer l’administration à rendre public ces documents puisque c’est le CGCT lui-même qui l’y oblige.

Peut-être que le requérant pourrait être amené à introduire une nouvelle requête devant le tribunal pour obtenir l’application régulière de la réglementation en vigueur si la CACEM (mais ce n’est pas la seule …) ne se met pas en conformité dans un délai raisonnable.

La persistance dans l’erreur, même après correction.

Ce qui est perturbant, c’est que malgré un avis positif de la CADA, la CACEM persiste dans son silence et oblige ainsi à aller devant le tribunal administratif

En l’espèce, suite à l’avis de la CADA du 21 février 2024, la CACEM disposait d’un délai d’un mois pour répondre à la sollicitation de la commission, ce qu’elle n’a pas fait. La décision de refus de communication du document a été confirmée par le silence gardé de l’établissement public suite au délai de deux mois à compter de l’enregistrement de la demande par la commission, soit le 5 avril 2024.

Or devant le tribunal administratif, la CACEM elle-même reconnaît qu’elle n’a aucune raison de ne pas fournir les documents et les fournis donc immédiatement.

On est donc devant une administration qui impose le recours au tribunal administratif pour éviter de fournir des documents, y compris après un avis positif d’une entité tierce. Une administration, qui préfère chipoter sur une coquille évidente et être hors-sujet plutôt que de faire un simple aller-retour par mail sur un besoin éventuel de précision.

Dans ma requête au tribunal administratif, j’indiquais deux points concernant l’attitude de la CACEM vis-à-vis de la transparence.

  • Le requérant s’étonne de la non réponse de la CACEM alors que les autres EPCIs, Espace Sud et Cap Nord, ont répondu, la première, en moins d’un mois, la seconde, après avis de la CADA, démontrant ainsi la capacité opérationnelle et politique de certaines administrations locales à respecter le droit (normatif ?) sans nécessiter l’intervention du tribunal administratif sur des sujets pour lesquels ne se pose aucune difficulté d’interprétation juridique sérieuse ;

  • Le requérant s’interroge également sur la bonne foi de la CACEM autour de ses obligations en termes de transparence. En effet, sur un autre dossier (dossier n° 2100507, déposé en 2021, jugé en 2022 et dont l’exécution s’est faite en 2023) concernant l’eau et Odyssi, le requérant avait déjà rencontré le même refus de la CACEM qui l’avait conduit à saisir le tribunal administratif puis à devoir le saisir à nouveau pour faire exécuter le jugement, la CACEM persistant dans sa volonté de ne pas communiquer les documents en dépit d’un jugement favorable. Il semble dès lors pertinent d’ajouter une astreinte afin de motiver la CACEM à communiquer les documents demandés sans devoir à nouveau solliciter le tribunal administratif.

Ces points ont visiblement irrité l’administration, néanmoins à la lecture du mémoire en défense présenté, ils sont tout à fait exacts. Le temps de répondre à un email et de fournir 2 documents est négligeable par rapport au temps mis pour rédiger un mémoire en défense de 7 pages. Avec 30 minutes pour répondre à un mail avec un document vs 0.5JH pour rédiger le mémoire, on est quasiment sur un facteur 10 entre les deux taĉhes.

Dès lors, il y a deux possibilités dans ce refus de répondre directement.

Soit il s’agit d’une stratégie politique et alors je n’ai rien à proposer d’autre que des rendez-vous devant le tribunal administratif. Mais de mon côté, mon process s’optimise à chaque itération ;)

Soit c’est un problème d’organisation interne, qui résulte d’un (non) choix politique autour de la gestion de la transparence et de l’organisation opérationnelle qui doit en découler. Qui est responsable de ce sujet à la CACEM ? Qui peut/doit répondre ? Dans quels cas les agents peuvent répondre en totale autonomie et dans quels cas y a t-il concertation ? Qui reçoit les avis CADA et quel impact sur le traitement de la demande en cours ? Ces questions et l’organisation à mettre en place pour y répondre interrogent finalement le rapport entre l’administré et l’administration. L’administré est-il autre chose qu’une menace qu’il faut neutraliser ou qu’une source de coût qu’il faut réduire ?

Optimisation opérationnelle.

Si je mets le doigt sur les problèmes opérationnels de certaines entités, je sais aussi mettre le doigt sur les miens. Et analyser mes erreurs pour essayer d’en faire moins la fois suivante.

Si j’ai bien utilisé l’option “astreinte”, j’ai fait (au moins) deux erreurs.

1. La rivière coule roche

La première est liée à l’envoi de ma première demande, sur le site de la CACEM. J’ai rédigé directement mon message dans le formulaire du site, qui est minuscule et ne permet pas facilement la relecture.

coquille perdue parmi les flots

Dans mon message une coquille est présente et Rivière-Blanche devient Rivière-Roche :

Bonjour, dans l’arrêté R02-2023-09-20-00002 - Arrêté portant sur la répartition des ouvrages de production d’eau dits de Directoire et de Rivière-blanche, le préfet fait référence à un courrier envoyé par le président de la CACEM le 1er septembre concernant l’usine de production de Rivière-Roche ainsi qu’un engagement à livrer les abonnées de l’Espace Sud à prix coutant.

La CACEM utilise alors cette coquille pour indiquer que ma demande “manque de précisions et de clarté” :

coquille perdue parmi les flots

En lisant mon message, je fais bien référence au courrier du président de la CACEM au préfet concernant la répartition des usines daté du 1er septembre. Sauf à imaginer que ce même président ait envoyé plusieurs lettres ce jour précis concernant ce sujet précis au préfet, ma demande, même contenant une erreur, est suffisamment précise pour identifier le document demandé.

On peut considérer que la CACEM a surjoué une réaction à cette coquille, mais il était inutile de leur fournir un quelconque prétexte.

Note: rédiger les demandes sur un support permettant la relecture.

2. TA DA ! TA DATE est fausse.

En rédigeant ma requête, j’avais un doute sur la date de la décision implicite de refus. J’ai donc mis une date de façon arbitraire à la date de la décision CADA. Cette date est erronée et a été relevée habilement par la CACEM.

Sur le site de la CADA, il est par exemple indiqué (au 04/06/2024)

La décision implicite résulte de l’absence de réponse de cette dernière pendant plus d’un mois.

Donc le citoyen demande un document à l’administration, celle-ci ne répond pas, il y a donc un refus implicite au bout d’un mois.

Or, l’article R343-5 indique que la date de la décision implicite de refus est fixée à deux mois après l’enregistrement de la demande à la CADA lorsque l’administration a gardé le silence. J’y vois deux problèmes : a) que se passe-t-il si la CADA met plus de 2 mois à répondre ? b) si l’administration communique avec la CADA, est-ce qu’on considère qu’elle a gardé le silence ?

Il y a donc un en fait deux situations de refus implicites,

  • l’une, un mois après l’absence de réponse de l’administration ce qui permet de saisir la CADA,
  • l’autre, deux mois après l’enregistrement de la plainte à la CADA.
nom temporalité objet
T0 0 demande accès document
T1a T0 + 1 mois refus implicite pre CADA
T1b T1a + [0, 2] mois saisie CADA
T1c T1b + ε enregistrement CADA
T3a T1c + 2 mois refus implicite post CADA
T3b T3a + [0 à 2] mois saisie tribunal administratif

Dans le cas présent, l’analyse de la CACEM est juste, la date de la décision implicite de refus de communiquer les documents correspond bien à T3a, soit le 5 avril 2024.

Je n’ai pas trouvé de façon de distinguer ces deux dates (T1a et T3a) de refus. Si quelqu’un à une précision à apporter, you’re welcome.

Note: définir la date de refus implicite comme étant T3a.

3. suite et fin.

Il y a à dire sur la réponse de la CACEM, notamment puisque je n’ai pas eu les documents liés attendus.

Néanmoins, il me semble raisonnable de répondre favorablement à une cloture et de demander les documents liés de façon plus explicites. Le temps passant, j’ai désormais une liste plus complète de documents à demander et qui dépassent le cadre de ma demande initiale.

Et le fond bordel ?

Évidemment, lorsque j’ai demandé ces documents, en décembre 2023, l’idée était de comprendre le processus de décision du partage des usines de production d’eau. En effet, l’intervention de Zobda en plénière de la CTM avait apporté des éléments mais rendait la décision du préfet incompréhensible et sur lequel j’avais commencé un thread twitter (donc public). Comme aucune information n’avait auparavant été diffusée dans la presse, il me semblait raisonnable d’interroger les arguments de chaque acteur pour analyser la décision.

Au vu des maigres éléments obtenus, à ce jour, mon analyse personnelle est que :

  1. Contrairement à ce que Zobda indique, la décision du préfet se base d’abord sur le fait que les EPCIs ne soient pas mis d’accord. Dès lors, attendre la fin d’un contrat ne semble pas incohérent.
  2. Que ce soit vis-à-vis des autres EPCIs ou du préfet, la crédibilité de la CACEM (sur le sujet de l’eau) et d’Odyssi sont faibles et ont un impact dans leurs capacités à trouver des accords.
  3. Cette question du partage est une question à tiroir. Au-delà de cette usine particulière, d’autres sujets y sont plus ou moins liés: transfert de patrimoine non finalisé, répartition de la ressource et coopération dans la distribution entre EPCIs. Ces autres sujets sont massivement parasités par la place disproportionnée du politique sur l’efficacité rationnelle et entraînent des (non) décisions incompréhensibles.

Le fond mérite davantage d’attention. Néanmoins, si obtenir chaque élément nécessite 6 mois même sans cyber-attaque, il devient compliqué de s’intéresser au fond, au moins pour un citoyen lambda.

Compliqué, mais pas impossible. Il y a en effet une conjonction d’éléments qui me laissent finalement plutôt optimiste.

Stay tuned.