Duty Free - niche fiscale de la résignation

TLDR;

Les croisiéristes dépensent peu en Martinique et en Guadeloupe. Pour quelques députés et sénateurs, la solution est une niche fiscale. Exonérés de TVA, d’octroi de mer et d’octroi de mer régional, taxes qui seraient payées dans l’allégresse par la population locale, les touristes croisiéristes se mettraient à dépenser sans compter sur nos territoires, assurant ainsi notre prospérité commune.

Ou pas.

Ponton en face de la tour Lumina, Fort-de-France

Il y a deux aspects intéressants sur les croisiéristes en Martinique. Il y en a beaucoup (et les chiffres sont en forte augmentation) et ils dépensent très peu : entre 37 et 44 € par personne source CMT .

Evidemment, vouloir qu’ils dépensent davantage est un objectif pertinent : plus de recettes pour les commerçants, restaurateurs, artisants et professionnels du tourisme. Plus de rentrées fiscales pour le territoire va permettre de dégager des marges pour améliorer l’offre de services, gérer les externalités négatives et rentrer dans un cycle vertueux.

Néanmoins l’approche retenue est à minima une optimisation prématurée et davantage un manque d’ambition, d’imagination ou de confiance dans la capacité du territoire ou des acteurs du territoire à mettre en place des solutions impactantes.

Et il y a du monde pour mettre en place ces solutions impactantes, dès lors qu’on arrêtera avec les réunions de préparation pour initier un séminaire participatif, bénévole pour les professionnels locaux, où 75% du temps sera consacré à la présentation d’un bilan imprécis et d’une ébauche de stratégie, organisé de façon non bénévole par un cabinet parisien.

De plus, si la seule réponse pour attirer les croisiéristes et les faire dépenser sur le territoire est le prix, je pense qu’on peut arrêter le massacre de suite, on ne sera pas moins cher que nos voisins.

Niveau de vie dans la Caraibes

GDP per Capita ($) PPP (purchasing power parity) : source Martinique + Guadeloupe, source autres

Etat 2015 2016 2017
France 41720 42840 45290
       
Trinidad and Tobago 33280 31150 31670
Bahamas, The 30750 30050 30920
Martinique 29516 30056 -
Guadeloupe 26098 26855 -
Puerto Rico 25390 25750 26190
Antigua and Barbuda 21660 22580 23490
       
Barbados 16700 17150 17640
Caribbean small states 15494 15054 15337
Dominican Republic 14020 14910 15630
St. Vincent and the Grenadines 12280 12240 12470
Grenada 11760 12580 13370
St. Lucia 11190 12030 12760
Jamaica 8280 8340 8670
       
Cuba - 11900 -

On voit très clairement que tant la Martinique que la Guadeloupe sont dans le haut du panier. Jouer sur les prix avec des voisins dont le niveau de vie est soit proche, soit deux à trois fois moins cher parait compliqué.

Un DutyFree, comment et pour quoi ?

Mettre en place un système de Duty Free dans une zone ouverte (une ville) est complexe si on ne veut pas risquer une fraude généralisée.

Les vendeurs vont donc devoir s’organiser techniquement, admistrativement et fiscalement ; mettre en place une procédure de vérification qu’un client est un bien un croisiériste non domicilié sur le territoire.

Exit donc les petites boutiques.

Reste les “gros” commerçants et les boutiques “spécialisés”. Quels sont donc les produits “répondant” au cahier des charges, susceptibles d’être acheté en quantité suffisante pour que mettre en place la procédure de détaxe soit rentable ?

Le Rhum bien sur ! Pas de Tabac dans la défisc, c’est mauvais pour la santé, tandis que le Rhum, c’est local, c’est naturel, alors pourquoi se priver ?

Quelles conséquences ?

Facile de voir l’impact immédiat :

V. La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

VI. La perte de recettes résultant pour les collectivités territoriales du I est compensée, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement. source : sénat - débat du 25 novembre 2019

Ce que les croisiéristes vont économiser en taxes va être transformé en taxe sur la population.

Répétons ensemble : pour que les croisiéristes dépensent davantage, on va leur vendre du rhum détaxé (donc moins cher que pour la populasse) financé par cette même populasse.

Les croisiéristes ont dépensés en Martinique 17 millions. Quelle est la part consacré au Rhum et qui pourrait être détaxé ?

Qu’avons-nous à offrir à ces visiteurs, venus d’ailleurs pour quelques heures ? Des souvenirs made in China, quelques cartes postales et, fort heureusement, de bonnes bouteilles de notre rhum national. Ils ne trouveront pas sur place une panoplie étendue de produits originaux.

source francetvinfo

Si on dit que 20% de la dépense d’un croisiériste est sur du rhum détaxable (ça m’arrange pour la suite) et un taux de taxe à 10% , on a donc un financement “participatif mais obligatoire” fiscal de 17.2M x 0.2 x 0.1 = 344 000€, soit environ 1€ par personne.

Chaque martiniquais va donc donner 1€ par an pour qu’un croisiériste puisse payer sa bouteille de rhum moins cher.

Un euro, c’est très faible, mais l’effet induit le sera tout autant avec trois effets négatifs cumulés :

  1. faire financer des prix moins cher pour les croisiéristes par la population
  2. augmenter le risque de fraude
  3. conditionner la détaxe à l’utilisation d’une procédure qui va exclure de fait les “petits” commerçants

C’est intéressant d’ailleurs de voir que certains sont conscients de la problématique mais veulent quand même y aller :

M. Victorin Lurel. - Je souscris aux propos du rapporteur général. Oui, il y a un risque de fraude ; c’est pourquoi je propose trois ans. Quatre ans, cela me semble long pour une expérimentation. La région va perdre de l’octroi de mer, l’État de la TVA.

Je suis preneur de tout document qui viendrait, même violemment, contredire cette première analyse.